Passage d'une duchesse de Bourgogne

Au temps des grands ducs de Bourgogne Valois (Philippe de Bourgogne, Jean sans Peur, Philippe le Bon, Charles le Téméraire), une duchesse s'en fut du château de Germolles où elle aimait passer la saison d'été, en dévotion à l'abbaye de Tournus. Sans doute la rivière de Grosne qu'au retour, elle devait traverser, fut-elle abondamment enflée par les pluies violentes d'un orage imprévu. L'historien Pierre de Saint-Julien de Balleure écrit que ce délicat franchissement eut lieu à La Chapelle de Bragny. De tous temps, la rivière que les Celtes nommèrent "pierreuse" tant elle charriait sables doux, gravières et cailloux, fut réputée "fort subjecte à épancher". L'orage gonfla les flots et le bel équipage se trouva en grand danger. Les "Chapalats" de ces temps là se portèrent au secours de la dame et réussirent, unissant leur force et leur adresse, à "l'exempter de péril", si bien que la duchesse, réconnaissante, leur promit d'obtenir du duc le privilège qu'ils "demanderoient". Habiles et avisés, les gens de pays reçurent ainsi l'autorisation d'utiliser, selon leur meilleur profit, soit les mesures de Chalon, soit celles de Tounus.

Avant que ne fut construit un pont de bois, le passage vers le lieu-dit "La Platte" se faisait à l'aide d'un gué. On peut imaginer que là se joua cette scène historique qui unit nos gens de pays à la survie de leur duchesse, événement consigné par Pierre de Saint-Julien de Balleure, ami de Pontus de Tyard et des poètes de la Renaissance.

Histoire du bateau lavoir

En 1867, le géomètre Etienne Laborier habitant la Maison des Charmes, époux d’une demoiselle Geneviève de la dynastie Blondeau résidant à Hauterive, au lieu-dit « La Fromagerie », réalisa une étude destinée à la transformation d’un « platre » communal récemment acquis par la municipalité, en abreuvoir et lavoir publics. Cet ensemble se situe sur la route de Messey, en aval du déchargeoir (déversoir), en un endroit de la rivière « où jamais l’eau ne vient à manquer, et où les fonds présentent l’avantage d’être sableux ». Ce lieu se situe à l’orée de la Prairie du Breuil.

Vers l’an 600, beaucoup de paysans (« gens de pays »), au temps de la Neustrie, de l’Austrasie et de la Burgondie, parlaient encore au fin fond des villages et des campagnes, un dialecte gaulois issu de l’ancienne langue celte. Le terme « breuil » en est issu puisqu’il provient de l’ancien gaulois « °brogilos », mot qui aurait désigné un arrière bois humide puis « clos » réservé au seigneur. Il est vrai que prés et prairies des alentours appartenaient au domaine du château, et cette propriété semble remonter fort loin, peut-être au temps de ce seigneur essarteur que fut, en 1040, Bernard de La Chapelle. Au temps de la féodalité, « breuil » désigne également un parc à gibier réservé « à ceux qui estoient habiles de chasser, c’est-à-dire qu’ils estoient de race noble, laquelle pouvoit seule entretenir des parcs de gibier, et parcourir les terres avec faucons, chiens, arbalètes, filets et aultres harnois ou engins ».

C’est en 1867 qu’Etienne Laborier présente son étude. Il faudra laisser s’écouler trente longues années, au moins une génération de lavandières, pour que la pierreuse rivière de Grosne porte enfin le lavoir tant désiré. La délibération de 1897 en rend compte en ces termes : « Le Maire expose au Conseil que depuis longtemps les habitants de la commune réclament l’établissement d’un bateau lavoir sur la rivière de Grosne. Il a fait faire par Monsieur Favre, constructeur à Chalon, un devis qui se monte à 1650 francs, plus 150 francs pour transport, mise en place et chaîne d’attache. Considérant la très grande utilité de ce bateau lavoir, le Conseil vote la somme de 1280 francs, laquelle somme sera prise sur les fonds libres de la commune ».

Dès les premières années de son installation, l’entretien du bateau lavoir fut confié au garde champêtre du village. Ce dernier recevait annuellement une somme de 14 francs et effectuait scrupuleusement chaque samedi, le nettoyage nécessaire.

Ce bateau lavoir, appelé « platte », prit une telle importance dans la vie du village qu’il effaça dans les mémoires le nom ancien du lieu-dit. Non seulement le pré lui donnant accès fut appelé « Pré de la Platte », mais le pont enjambant le bief arrivant en rivière, se nomma « Pont de la Platte ». Puis les droits et hauts peupliers qui y furent plantés furent baptisés à leur tour « Peupliers de la Platte ». Les ultimes années du second millénaire fauchèrent leur fier élan. Ces arbres appelés « poupliers » au XII° siècle, de l’ancien français « peuple » issus du latin « populus », longtemps dédaignés dans les parcs d’agrément, furent des arbres de rives appréciés élevant leur large feuillage vertical aux côtés des saules, frênes, aulnes et autres arbres des bords de Grosne.

Le charron et aubergiste Jean-Baptiste Delorme effectua quelques ultimes réparations sur ce bateau lavoir de quinze places, équipé d’une chaudière, au cours du premier conflit mondial. Puis, ce bateau lavoir tout de bois vêtu fut remplacé par un spécimen moderne coiffé de tôle d’acier. Charpente, menuiserie habillant l’intérieur, transport et mise en place s’élevèrent à un prix total de 13 500 francs. De nouvelles générations de lavandières s’y succèderont, été comme hiver, en des années où les gants Mapa n’existaient pas. Couvert d’un toit de métal gris bleuté, le bateau lavoir s’apercevait depuis la route, maison posée sur le paysage de la rivière.

Il abrita le dur travail des femmes venues laver, et fut un témoin privilégié des joyeuses baignades d’été. La rivière, que les tireurs de sable n’honoraient plus de leur fréquentation assidue, amoncela à deux pas de là une vaste et belle sablière. Un jour, le bateau lavoir franchit la rivière qui l’avait toujours aimablement porté, puis gravit la rive d’en face, sur le finage de Messey. Après en avoir été acteur principal, il devint spectateur solitaire du grand théâtre abandonné des lessives d’autrefois.

Grosne et Goutteuse, d'un pont à l'autre

Des travaux importants avaient modifié, en 1863, le tracé du bief et son franchissement. Un nouvel accès à la rivière avait été creusé, l’ancien méandre asséché et comblé. Un pont plus vaste porté par deux belles arches de pierre avait remplacé, quelques pas plus loin, le pont de bois d’autrefois. Modification de la voie et nouvel ouvrage d’art avaient mobilisé efforts humains et financiers. Chapalats et agents voyers avaient contribué à façonner une nouvelle approche de la rivière, un franchissement plus sûr et plus aisé. Tout comme le canal d’amenée bien droit conduisant rapidement la rivière vers le bâtiment d’eau et les roues à actionner, le bief ancien avait été dirigé à l’endroit approprié pour s’engouffrer sous la voûte solide des arches et grossir la Grosne si propice à « épancher », déborder, inondant champs et chemins des humains.

Un autre pont de bois fut mis en service en 1863, sur le finage de Messey, juste après le moulin. Il reliait le nouveau chemin créé sur une ancienne noue comblée. De cette noue, il ne reste que le petit étang aménagé par Monsieur Laugerotte à proximité de son restaurant. Les tracés anciens de cette noue incitent à penser qu’elle fut utilisée pour diviser les eaux du canal d’amenée en cas de fortes crues. La noue, sans doute naturelle à l’origine lorsqu’on observe la présence et la forme des sablières, fut peut être utilisée comme dérivation destinée à protéger le bâtiment d’eau et ses roues lors des crues violentes. Une partie des eaux filait alors en raie de Fragny avant de rejoindre, un peu plus loin, la rivière de Grosne. Une autre dérivation, plus courte et plus directe fut ensuite creusée et permit d’alimenter une autre roue placée sur le côté du bâtiment, sur le pignon qui regarde la route de la Chapelle. Cet aménagement existe toujours et passe sous la route actuelle. Le bras dérivé abandonné et son anse terminale finirent par être comblés, ce qui permit l’aménagement de la nouvelle route et du pont , épais plateaux de bois allongés transversalement sur trois poutres massives reposant sur quatre culées de pierre que portent des pieux en bois ferrés de tôle épaisse et enfoncés dans le sol. Ces piquets sont encore visibles au fond de l’eau, non loin de l’actuel pont Giron édifié en 1905.

En 1863 furent également mis en service les « huit ponts » accompagnant le franchissement rectiligne de toute une zone de mouilles fangeuses et marécageuses source de grandes difficultés pour l’établissement de cette nouvelle route.

Vingt années plus tard, en 1883, le pont de bois édifié sur la Raie de Fragny, que grossit la Goutteuse, menace ruine. Sans doute a-t-il mal supporté les injures du temps et l’intense activité des hommes, les multiples charrois liés au moulin et à la circulation entre les deux montagnes. L’ingénieur des Ponts et Chaussées constate l’urgence des réparations chiffrées à 3000 francs et propose une prise en charge conjointe des deux communes. Le Conseil Municipal refuse, expliquant que beaucoup d’autres communes profitent de ce passage et doivent elles aussi contribuer aux frais à engager. C’est au moulin de La Chapelle qu’une grande partie des habitants de la côte de Buxy viennent faire moudre leur blé, leur maïs et tirer le sable dont ils ont besoin. La construction de ce pont a été en grande partie imposée par le passage des matériaux de toute nature venant de la gare de Sennecey et destinés à la réalisation de la voie de chemin de fer reliant Chalon à Cluny.

Outre ces réparations, l’Ingénieur des Ponts et Chaussées présente le projet de construction d’un pont à deux arches en maçonnerie, dépense évaluée à 30 000 francs. Le Conseil Municipal de La Chapelle demande que ce projet soit ajourné pour une durée d’au moins dix années. L’emplacement de ce nouveau pont se situe en amont de celui, en bois, qu’il convient de réparer, sur des terrains comblés et remaniés, dans la trajectoire de la route « rectifiée » conduisant au village de Messey. Les travaux dans ces zones basses, humides et difficiles ont été considérables, afin de donner un accès à la rivière et un franchissement plus sûrs en toute saison de l’année.

En 1884, le Conseil persiste dans son refus de participer aux dépenses nécessitées par les réparations du pont en bois construit en 1863. Une somme de 1050 francs est demandée à la commune qui vote 200 francs dans un premier temps, puis un complément de 325 francs.

En 1893, le Conseil vote le montant du contingent demandé à la commune pour le remplacement du pont en bois du moulin de la Chapelle, ce qui représente une somme de 1968 francs. Un emprunt est prévu, avec remboursement par tiers.

En 1895 a lieu la reconstruction du pont du moulin sur le territoire de Messey. Il est appelé « Pont Giron » du nom de l’entrepreneur de Sennecey-le-Grand qui effectua l’ouvrage. Durant les travaux d’édification, fut posé, légèrement plus bas, un pont provisoire en bois.

Lessives, lavoirs et lavandières

Cette activité importante de la vie domestique avait pour cadre l’un des deux cours d’eau traversant le territoire de la commune. Selon le quartier où l’on résidait, il convenait de se rendre sur les berges de la Grosne ou sur celles du Glandon. Les dames des quartiers du haut descendaient linge et planche à laver au déversoir, sur la gravière plus ou moins sableuse que le courant édifiait en face des vannes. Les ménagères des Meix ralliaient l’étroit chemin du Glandon. A l’endroit de l’ancien passage à gué, franchi par l’aqueduc en pierre de 1848, le garde champêtre avait aménagé une place régulièrement entretenue où l’on pouvait laver. Une pierre était installée à cet effet. Au siècle dernier, Monsieur Thibert y avait même aménagé un banc pour papoter et un égouttoir où déposer le linge mouillé. De grands peupliers bordaient la rive d’en face, du côté des terres de Blanchin. Les dames du bas du village avaient le choix entre le lavoir de la prairie du Breuil offrant un toit, des bancs de bois, une chaudière, et l’abreuvoir-lavoir du pré des Cannes, en face du château.

En 1873, l’instituteur Claude Terrier succéda, à l’école communale, à son collègue Balthazar Gautheron. Non loin de l’école s’élevait la belle habitation de l’ancien maire François Laborier, père d’une jeune Pierrette dont le charme n’échappa point au nouvel instituteur son tout proche voisin. Il l’épousa l’année suivante. Jean-Baptiste Machuron, grand-père de la jeune et jolie Pierrette, bénit cette heureuse union du haut de son éternité. Il y fut emporté par les flots de l’imprévisible rivière de Grosne.

Claude Terrier écrivit une monographie du village. Il présente ainsi la Grosne, « rivière pierreuse » nommée par les Celtes Anciens :

« La Chapelle est arrosée par la Grosne qui a pour affluent dans la commune le ruisseau du Glandon. La Grosne prend sa source dans le département du Rhône, près de Monsols, entre dans la Saône-et-Loire au hameau de La Chanalle, traverse Saint-Léger-la-Bussière, Trambly, Montagny-sur-Grosne, Clermain, Sainte-Cécile, Jalogny, Cluny, Lournand, Massilly, Taizé, Ameugny, Cormatin, Malay, Savigny-sur-Grosne, Sercy, Santilly, La Chapelle de Bragny, Lalheue, Beaumont-sur-Grosne, Saint-Cyr et Marnay où elle se jette dans la Saône, rive droite.

Le cours général de la Grosne est du sud au nord jusqu’à Ameugny, et, de là, elle se dirige au nord-est jusqu’à son confluent. Elle présente une particularité remarquable avec la Saône dont elle est tributaire et la Guye son principal affluent. La Saône et la Guye coulent presque parallèlement du nord au sud. La Grosne, située entre les deux, va du sud au nord. Ses affluents rive droite sont :

La Grosne orientale qui sort près d’Avenas (Rhône), entre dans la Saône-et-Loire à Germolles, et se jette dans la Grosne dans le hameau de Chanal.

Le Glandon qui traverse La Chapelle de Bragny

Le Grison

Sur la rive gauche, son principal affluent est la Guye qui se jette dans la Grosne à Messeugne, commune de Malay.

Quittons les bancs de l’école communale édifiée en 1897 par l’entrepreneur Dauxois, et suivons l’instituteur Claude Terrier, qui ne connut que l’ancien bâtiment acheté par la municipalité en 1839. Avant de devenir salle de classe et logement de l’instituteur, ce logis abritait la ferme de Jean Bonnot.

Une fois passé le puits du Milieu où campèrent et violentèrent les Autrichiens, très ancien puits de quartier, puis le puits des Charmes, plus récent, creusé entre 1800 et 1833, suivons le petit chemin buissonnier descendant doucement jusqu’à la rivière de Grosne et l’ancien déchargeoir aujourd’hui nommé déversoir. Après avoir bifurqué à l’ombre des haies de frênes, de charmes et de puissants ronciers, entre aubépines et églantines, le sentier conduit tout droit à un petit gué et à une gravière où résonnèrent battoirs et conversations des ménagères. A l’ombre des hauts peupliers portant le gui des druides anciens, écoutons Claude Terrier présenter la rivière :

Le cours de la Grosne, d’une longueur totale de 90 kilomètres environ, est de 8 kilomètres sur La Chapelle. La rivière n’est pas navigable à cause de son peu de largeur, 10 à 15 mètres en moyenne, et de ses nombreuses sinuosités. La profondeur moyenne est de 3 à 4 mètres. On trouve fréquemment des trous bien plus profonds et qui ne sont pas sans danger. Les crues sont subites et occasionnent parfois de grandes pertes, surtout si elles arrivent au moment de la fenaison. Il n’est pas rare alors de voir entraîner par les eaux des masses de foin.

En amont de la rivière, sur les hauteurs premières du hameau de Hauterive, se détache la silhouette imposante de La Chavoche. Cette belle demeure et ses terres, que faisaient autrefois fructifier deux familles de fermiers grangers, étaient propriété, avant la Révolution, du seigneur Mandelot, de Messey, apparenté aux du Blé et aux Uxelles-Brancion. Cet ensemble s’appelait « Domaine d’Amaron ». Non loin de cette belle bâtisse se trouvent la Terre des Justices, sans doute pourvue de fourches patibulaires, le Bois d’Amaron, et le Champ des Morts qui garde mémoire des sanglants combats qui opposèrent catholiques et huguenots lors des guerres de religion. L’ensemble du domaine d’Amaron fut vendu comme bien national pendant la Révolution et acquis par l’un des fermiers grangers, Antoine Vallière. Il avait alors pour employés Pierre Dard et Pierre Dumont. Jeanne Rebourgeon y était domestique.

Amélie Lucienne Ducret, demoiselle Fargeot, grandit dans cette ferme de la Chavoche. Depuis 1850, elle était exploitée par la famille Fargeot venue de Sercy où résidaient, à l’époque, les propriétaires du domaine, Françoise Vallière et son époux Claude Carré. Louis Fargeot et son épouse vinrent y travailler. Ce déplacement leur valut la mutation orthographique de « Farjot » en « Fargeot ». Au village forgeait un maréchal nommé Claude Furgeot, et la paroisse avait été desservie, pendant la Révolution, par un curé Furgeot, prêtre assermenté, qui se rétracta par la suite, se cacha à Messey où il fut finalement arrêté puis exilé.

A Louis Fargeot venu de Sercy succéda son fils Jean-Claude époux d’Anne Blondeau qui avait grandi dans l’une des toutes proches maisons de la Fromagerie. En 1900, Pierre Fargeot, sixième enfant d’Anne et de Jean-Claude, épousa Maria Bonnin. Douze années plus tard, le couple devenait propriétaire du domaine. Amélie Lucienne, leur fille, raconte ses souvenirs des lessives d’autrefois, en cette Chavoche toute proche de la rivière de Grosne. Il fallait descendre la pente abrupte du chemin caillouteux conduisant de la ferme à ce creux de la rivière où se rinçait le linge, approximativement à l’endroit où les résistants, en août 1944, firent s’entrecroiser en grand fracas bras et jambes d’un pylone qui sur la berge se coucha. Seaux et lessiveuses étaient chargés sur une charrette à un seul bras se terminant par une croix. A l’endroit où se rinçait le linge, l’eau était particulièrement fraîche, glaciale en mauvaise saison, et les gants n’existaient pas. Ces lavandières des temps d’hier ont gardé cuisante mémoire de ce froid qui mord les doigts, endolorit les mains et les bras. Ceux et celles qui ont connu le bateau lavoir de la Platte n’en gardent la plupart du temps que les souvenirs ensoleillés des lessives d’été. Bien sûr il y avait cette position courbée sur l’eau qui pliait et ployait le dos, mais nul n’imaginait à l’époque ce dur labeur dans les rigueurs de l’hiver ou en saison de brumes humides et froides. Et pourtant, les générations précédentes ont lavé, rincé, battu et frotté linge de maison, linge de corps et les rudes vêtements de travail en toute saison, dans une eau à la rencontre de laquelle il fallait aller quel que soit le temps, au bord de la rivière ou du ruisseau, ou, au plus rude de la mauvaise saison, en puisant l’eau dans le puits de la ferme ou le puits de quartier.

Raymonde Demont raconte elle aussi les souvenirs de cette lessive qu’on appelait « la bue ». Les préparatifs en commençaient à la pointe du jour. Il fallait mettre en route la chaudière qui montait l’eau propre dont elle se trouvait emplie tout doucement en température. Dans un grand baquet se trouvaient empilées des couches alternées de linge sale et de cendre de bois. Le linge le plus sale était déposé dans le fond de la cuve. Lorsque l’eau de la chaudière avait acquis la chaleur nécessaire, elle était progressivement versée dans le baquet. Ce premier passage de l’eau sur les cendres libérant leurs sels de potasse, se faisait à une température moyennement chaude. Il fallait éviter de « cuire » les saletés. L’eau imprégnait les couches successives du haut vers le bas et s’écoulait par un orifice percé dans la partie inférieure du cuveau. Souvent on y fixait une mâchoire de porc pour « faire la rigole » et récupérer le précieux « lichu » remis à chauffer dans la chaudière. Et cette opération se répétait tout au long de la journée, utilisant à chaque passage une eau progressivement plus chaude, jusqu’à ce que la température du « lichu » devienne telle que la main sur laquelle il coulait au sortir de la rigole ne puisse y demeurer le temps d’un « pater noster ». Après avoir reçu une journée durant ce lent écoulement d’eau chaude s’alliant aux sels de potasse des cendres de bois, la lessive marquait un temps de pause. Le lendemain seulement commençait l’opération de rinçage, au ruisseau du Glandon ou à la rivière de Grosne. Les grandes pièces de linge de maison étaient ensuite étendues sur le pré, au grand soleil. Ces lessives étaient généralement effectuées deux fois par an et fonctionnaient parfois collectivement, les ménagères du village allant « faire la bue » un jour chez l’une, un jour chez l’autre. Lors de ces grandes lessives étaient lavés dans le cuvier les draps, les torchons, les nappes, les serviettes et le linge de corps.

Dirigeons maintenant nos pas vers le chemin du Mothey musant et bricolant entre le Champ Crochet et le Champ des Clous. Il y a là maintenant un puits et sa belle auge de pierre fleurie, et un banc où il fait bon s’asseoir, le temps de jeter un regard vers cette terre des Charmes portant une longue et belle bâtisse. Le terme prélatin « calma » dont est issu le toponyme « Charmes » notait, il y a fort longtemps, sans doute au temps des Celtes Branoviens établis au pays, des terrains envahis de friches. Au début du XIX° siècle, la terre des Charmes, cultivée, appartenait à cet Antoine Vallière qui sut mettre en valeur l’ancien domaine d’Amaron devenu Chavoche qu’il avait acquis pendant la Révolution. Entre 1803 et 1833 s’édifia sur cette terre des Charmes une maison chauffant son aiguille aux mille feux du crépuscule. Claudine Vallière, fille d’Antoine et son époux François Laborier, en étaient propriétaires. Leur fille Anne-Marie, religieuse, hérita de l’habitation. Elle devint ensuite propriété de Pierrette Laborier, épouse de Jean Portheret, meunier au moulin d’Hauterive. Fort bel homme, il était surnommé « la fleur » par les potins du village. Jennie Portheret, fille de Jean et Pierrette, épousa Joseph Pierre du quartier d’en face et hérita à son tour de l’habitation et de la terre des Charmes. Etienne Laborier, géomètre, acquit le bâtiment auquel il ajouta une construction nouvelle en 1864, augmentée en 1879. Cette belle demeure prit alors l’imposante apparence que nous lui connaissons aujourd’hui. C’est à Etienne Laborier que nous devons le plan d’aménagement, en prairie du Breuil, du lavoir abreuvoir de La Platte.